Commentaire linéaire pour baccalauréat de français : Veni, vidi, vixi (du Livre IV Pauca meæ, Contemplations) de Victor Hugo
Veni, vidi, vixi (du Livre IV Pauca meæ)
Victor Hugo
Les Contemplations de Victor Hugo sont célèbres. C'est un volumineux recueil de poèmes (1856) traitant de sujets de la vie ordinaire d'un homme. 158 poèmes sont répartis de manière chronologique sur 6 livres. Les thèmes abordés sont à la fois très personnels et communs aux humains : les souvenirs, l’amour, la joie, la beauté, les peines, la mort, le deuil, la vie spirituelle. C'est à la fois une autobiographie versifiée et un hommage à sa fille aînée Léopoldine morte noyée dans la Seine à Villequier.
Le poème lyrique que nous étudions s'organise en quatrains et en alexandrins. Veni, vidi, vixi fait partie du Livre IV consacré à sa fille Léopoldine. Pauca meæ signifie « Les quelques vers pour ma fille ».
(je vous propose de procéder à la lecture du texte)
(Problématique et plan des mouvements)
Victor Hugo souffre. Par quel angle exprime-t-il sa souffrance? Nous allons étudier cette question à travers les trois mouvements du poème, tout d'abord la perte de contact avec la beauté des éléments de la vie, ensuite le bilan de la vertu malgré tout, enfin l'expression de la fatalité dans un moment de poésie mélancolique.
Eléments pour analyse littéraire
Mouvement 1 : perte de contact avec la beauté des éléments de la vie pour un coeur devenu morne (morne = empreint d'une sombre tristesse)
strophes 1, 2 et 3
une grande peine attribuée à la première personne
perte du goût de la vie : ne... plus...
répétition de "puisque" => anaphore : ce "puisque" signifie la justification causale d'un fait ou d'une décision
Rien ne le console, ni les bras, ni les rires des enfants, ni la vue des fleurs => Lexique de la joie en opposition avec le lexique de la tristesse
=> Lexique du mouvement et de la vie : marche, vécu
mais il a assez vécu, dit-il, donc c'est en lien avec la tristesse : il est las, il ne sent plus la vie en lui, et il en a assez de toute façon.
enrichissement du champ lexical de la joie et de la contemplation sur les strophes 2 et 3: fleurs, vie de l'âme, pensée positive, sérénité. Mais une sérénité (le mot "serein" est employé) lui est préférable, celle du repos offert par la mort ("j'aspire à l'ombre où tu te reposes")
Le lexique de la joie et de la contemplation est en opposition avec l'ombre et la tristesse, car Hugo ne parvient plus à avoir le cœur inspiré par ces beautés de la vie. Il dit vouloir rejoindre sa fille défunte. Il vit dans l'ombre : en strophe 2 il "fuit le jour", en strophe 3 il "aspire à l'ombre”
Il répète la première phrase du poème : "j'ai bien assez vécu". C'est un leitmotiv rappelant sa lassitude de façon à rythmer son poème.
Le tutoiement est employé: il s'adresse directement à sa fille comme s'il priait. C'est seulement dans le 3ème quatrain qu'il fait cela, dans la phrase exclamative "Ô ma fille!...". C'est une montée d'émotion.
Mouvement 2 : le bilan de la vertu malgré tout, malgré les attaques et la souffrance.
4ème str : revient à "je" et n'utilise plus l'anaphore du "puisque"
"Je n'ai pas refusé ma tâche", etc --> un regard sur sa propre vie, un bilan, un examen de conscience sur ce qu'il a fait "j'ai...", "j'ai...." ". Le passé composé "j'ai...." plusieurs fois est l'euphémisme d'une vie terminée...
2eme ligne de 4eme strophe "Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici." est un parallélisme dans la métaphore : Hugo va alors présenter tout simplement et sans détour les qualificatifs de ce qu'il pense être, sous guise de "sillon", trace laissée sur terre, et "gerbe", botte de fleurs qu'on dépose sur une tombe selon la tradition.
Le poète pense avoir appris à être bon dans la vie. ("souriant", "adouci", "debout", "incliné" vers le mystère divin)
Donc ce sont des paroles moins sombres et plus consolatrices, comme une compensation.
5ème str : il continue son bilan, qui s'avère positif pour un homme de bonne volonté (le service, la présence), tout en se plaignant et s'étonnant de l'injustice des moqueries ("on riait de ma peine", "étonné d'être un objet de haine"). Tout le monde ne l'a pas apprécié, quelques-uns l'ont peiné, alors qu'il s'estime de bonne volonté (il a "beaucoup souffert et travaillé").
Mouvement 3 : expression de la fatalité dans un moment de poésie mélancolique
6ème str : c'est imagé. Les expressions sont métaphoriques.
Hugo qualifie la vie terrestre de prison ("bagne") d'où l'on ne peut pas s'échapper ("ne s'ouvre aucune aile") --> il exprime un sentiment de lourde fatalité, toujours dans le champ lexical de la sombre tristesse
Il soutient que c'est un homme de bonne volonté ("sans me plaindre") qui sait souffrir et saigner. Il exprime surtout son épuisement total, sa lassitude, sa lourdeur, comme il tombe ("tombant sur les mains") et porte de lourdes chaînes, moqué par les autres "forçats" du bagne.
Hyperbole : "chaîne éternelle" --> amplification de son mal qui ne semble jamais finir dans cette idée redondante des chaînes qui lui pèsent et l'empêchent de vivre en liberté. ("chaînon", "chaîne")
Comme tout le monde finalement, vu qu'il semble généraliser : il a fait sa part quant à porter ce "chaînon de la chaîne éternelle".
Conclusion
Ce poème est à la fois l'expression des émotions mélancoliques de Victor Hugo suite à la mort de sa fille, et sa confidence quant à l'examen de sa conscience, comme cet examen s'impose lors de cette crise existentielle où la lassitude et le désespoir sont dominants. Cependant, V. Hugo n'oublie pas de se bien estimer, seule consolation à son chaos, même à l'heure d'une mort qu'il cherche. Cette mort qui l’assaille semble être personnifiée : la gradation Veni, vidi, vici du titre voudrait dire que la mort est venue, qu’elle a vu, qu’elle a vaincu.
(ouverture) V. Hugo nous ferait presque penser à Baudelaire. Cependant la différence est claire. Charles Baudelaire exprime sans cesse un spleen sans que les aléas de la vie n'aient à intervenir, cela par ses fameux oxymores très abstraits et métaphoriques, alors que V. Hugo ne passe pas son temps à sublimer le spleen. Les joies sont de vraies joies, comme dans ses poèmes retraçant ses balades bucoliques ou bien les sentiments de l’amour. Puis les tristesses sont celles procurées par les aléas de la vie humaine. Par ailleurs, V. Hugo avait signalé au lecteur que les Contemplations étaient des mémoires d'âme auxquelles n'importe quel humain pouvait s'identifier à tel ou tel moment de la vie ordinaire. Car il y a un temps pour tout.
---------------------------
Comments
Post a Comment