Le génie ou la lucidité dont vous pouvez être dépositaire a cela de bénéfique que vous connaissez les joies de l'esprit : vous trouvez la vie passionnante et illimitée. Mais ce qui semble être un privilège s'avère être par moments une situation à double tranchant, lorsque vos perceptions vous donnent le sentiment que tout est vain, devant le théâtre d’un monde trop superficiel peut-être. Et la responsabilité, pour ceux et celles qui se chargent de mettre du sens dans ce monde, est parfois pesante. Ils ont envie de légèreté parfois, d'insouciance.
Le génie créatif dont vous pouvez être dépositaire aurait donc un prix.
Devriez-vous vous rendre coupable de ce sentiment de vanité ? Non, bien-sûr, car ce sentiment est chose naturelle quand les portes de la perception sont deviennent plus limpides.
Quand bien même vous auriez touché du doigt l'éternité, il faut bien s'en retourner au pays des terres basses, là où l'action se déroule, sous l'œil de la sentinelle du Temps.
C'est alors que vous devenez soit actif soit stagnant. Si vous êtes actif, cela signifie que vous êtes acteur donc créateur. Il y a beaucoup à faire, certes, une montagne. Vous pouvez avoir par moments l’impression effroyable que vos empreintes seront toutes petites et insignifiantes, voire inutiles, devant l’immensité de l’histoire d’un peuple ou d’un village. Mais sera-ce une excuse pour ne rien faire ?
Il est naturel aussi que votre génie vous emporte dans une solitude plus ou moins grande, écrasante parfois. Les âmes des poètes écorchés vivent souvent entre deux mondes, marchant au bord d’un rift continental dont la profondeur est vertigineuse et fait penser au néant.
Et si la mélancolie vous envahit au risque de la folie, souvenez-vous de ceci : Dieu aime les fous. Il aime ceux qui sont assez fous pour vivre, assez audacieux pour exister malgré les hostilités, assez autonomes et forts pour marcher seuls en dehors de la doxa que la foule veut suivre.
Et quel soulagement quand vous réalisez que la folie du génie a ce don d’éveiller des consciences parce qu’il est des folies qui libèrent les esprits qui se cachent ! Après tout William Blake n’avait-il pas raison en disant :
« Si le fou persistait dans sa folie, il deviendrait sage. »
Génie ? Sage ? Que sont ces mots ? Bien que chaque personne puisse y donner une définition relative, cela en fonction d’une position très relative, je tenterai d’y mettre une définition.
Le génie est une force de lucidité et de réalisme qui induit un élan de création dans le monde et pour le monde tel qu’il est, sans se faire d’illusion.
Le sage est celui qui a compris qu’il n’a pas d’intelligence propre à lui-même. Il se fait si petit qu’il a assez de place dans sa coupe pour recevoir l’eau de la Connaissance, parce qu’il n’est pas plein de lui-même. L’eau de la Connaissance est la même chose que la pensée de Dieu, autrement dit, la conscience ineffable qui n’a pas de nom et en laquelle l’harmonie relie le tout en fraternité.
Qui a bu de cette eau ne sera plus en quête d’autres boissons.
Quoi qu’il en soit, même par des moments de lutte, les plus courageux continueront leur chemin jusqu’au bout, à la manière de passants qui n’ont que faire des gloires et honneurs de ce monde et qui pourtant auront donné à réfléchir, ne serait-ce qu’un peu.
Souvenons-nous alors du discours de Pierre-Gilles de Gennes (prix Nobel de physique 1991) :
« Amusons-nous sur la terre et sur l'onde.
Malheureux celui qui se fait un nom.
Richesse, honneurs, faux éclats de ce monde,
Tout est bulles de savon. »
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Carnets de Lynn ©2020